Murs : reportage sur la maçonnerie inca
I- Introduction
La civilisation inca se développe au début du XIIème siècle et prospéra jusqu’en 1532, date à laquelle l’empire fut conquis par les conquistadors espagnols. Il s’étendait alors sur une grande partie de la chaîne des Andes et recouvrait l’essentiel du Pérou et de l’Equateur actuels ainsi qu’une partie du Chili, de la Bolivie et de l’Argentine.
Les sites archéologiques sont particulièrement nombreux dans la région de Cusco, considérée comme le berceau de la civilisation inca. Pourtant, même dans des sites d’exception particulièrement bien conservés, les toitures et les menuiseries ont disparu. De même, les objets et les métaux précieux qui décoraient les bâtiments les plus prestigieux ont tous été pillés par les colons. Il ne reste presque plus que des murs … Mais quels murs ! La maçonnerie inca s’est taillée une réputation d’envergure et continue à fasciner archéologues et simples visiteurs.
Cet article propose d’étudier la maçonnerie inca et son mode de construction. En préambule, il convient de rappeler les conditions particulières aux paysages andins puisque celles-ci ont un impact certain sur les constructions. Les villages de la Vallée Sacrée culminent à plus de 2400m d’altitude et Cusco, la capitale inca, se situe à près de 3400m au-dessus du niveau de la mer. A cette altitude, les arbres se font rares et les taches physiques demandent un effort encore plus intense. Les Incas n’avaient pas découvert l’usage de la roue et ne disposaient que de lamas pour les assister dans le transport des matériaux ( mais un lama ne peut porter qu’une trentaine de kilos).
Dans ces conditions, le génie des constructions incas n’en parait que plus éclatant.

II – Elements constitutifs
- Pierres sèches
Bien que les Incas connaissait le mortier, la plupart de leur murs était constitué de pierres sèches. Celles ci sont de natures diverses : granites, andésites, diorites, rhyolites, calcaire, etc… Elles provenaient des carrières voisines, nombreuses dans cette partie des Andes.

2. Fondations
Si les murs incas ont si bien résisté aux différents séismes, c’est en grande partie grâce à la qualité de leurs fondations. Sur certains sites, la maçonnerie repose directement sur la roche. Les Incas n’ont pas hésité à tailler le socle rocheux afin de le rendre plus solidaire avec la maçonnerie.




3. Rochers taillés
Sur de nombreux sites, on peut voir que les Incas investissaient les rochers existants quand ils en avaient l’occasion. Ils y taillaient des tunnels, des escaliers, des sièges, des autels ou des niches destinées à accueillir des offrandes.


III – Types de maçonnerie:
Quand on parle d’architecture inca, on imagine souvent des murs sophistiqués, dont chaque pierre, soigneusement taillée, s’assemble avec ses voisines de manière unique, un peu à la manière d’un puzzle. Les Incas étaient passés maîtres dans ce genre de maçonnerie mais construisaient aussi d’autres types de murs, très différents par leurs méthodes de construction. En effet, la taille des pierres représentait un investissement considérable et toutes les constructions ne justifiaient pas forcément un tel degré de finition.
L’archéologue John H. Rowe a d’ailleurs classifié les différentes maçonneries incas en quatre catégories présentées ci-dessous :
1 – Maçonneries en moellons ou « canteado »: « *maçonneries constituées de pierres brutes » selon John H. Rowe
Les pierres sont de petites dimensions et ne sont pas taillées. Les maçons les ont simplement disposées les unes sur les autres en cherchant à ce qu’elles s’imbriquent le mieux avec les pierres voisines. Ce type de maçonnerie (que l’on retrouve un peu partout sur la planète) était évidemment l’un des plus économiques et faciles à réaliser. Il était donc essentiellement utilisé pour certains murs de soutènement et pour bâtir les édifices les plus modestes.


2- « Maçonnerie Cellulaire » : * » Maçonneries constituées de pierres de tailles de formes polygonales » pour John H. Rowe
Les pierres étaient dégrossies de manière à s’ajuster aux blocs voisins. Cette méthode permet d’avoir une grande surface de contact entre les différentes pierres. Celles-ci sont retenues par le poids des pierres voisines. Ces murs sont donc bien plus résistants que ceux de l’exemple précédent.


3 – « Engastado » ou « Almohillado » : * »Maçonneries de pierres taillées ne formant pas de lits horizontaux » pour John H. Rowe
En cas de secousses sismiques de faible intensité, les pierres resteraient solidaires les unes avec les autres et le mur ne bougerait quasiment pas. En cas de secousses plus violentes, les pierres auraient tendances à se déplacer légèrement (ce mouvement est nécessaire pour que les pierres ne se fracturent pas) , en revanche chaque bloc retrouverait « automatiquement » sa position d’origine après le séisme.





4- Appareillage impérial : « *Maçonneries constituées de pierres de taille dont les lits forment des lignes horizontales »
L’appareillage impérial est composé de pierres de taille disposées sur des lits approximativement horizontaux (cet appareillage de pierre de taille est assez commun en Europe). Pour plus de solidité, les maçons incas réalisaient parfois un entremêlement en plan : le sommet des murs ressemble alors à un véritable « Tétris ».



5 – Cas particulier : le temple du Soleil à Ollataytambo
Le Temple du Soleil est constitué de pierres pouvant atteindre plus de 2m de largeur par 3 de hauteur. Entre ces blocs pesant chacun une dizaine de tonnes, les maçons incas ont eu l’idée d’intercaler des pierres de plus petite dimension : en cas de séismes elles absorberaient la plupart des chocs ; ce sont de véritables joints de dilatation.


Cet édifice a été baptisé « Temple du Soleil » par les archéologues (cet emplacement est le premier du site a recevoir les rayons de soleil lors du solstice d’été) mais le bâtiment était inachevé à l’arrivée des Espagnols et les archéologues n’ont pas d’idée arrêtée sur la fonction exacte de l’édifice. La découverte de ce chantier a toutefois permis de vérifier certaines théories sur le transport des monolithes…

IV- Méthodes constructives
1 ) Extraction et transport des pierres
Sur certains sites la roche conserve des signes de taille. Les Incas ont extrait leurs pierres le plus proche possible de leurs sites de construction.




A Ollataytambo, les pierres étaient extraites d’une carrière située de l’autre côté de la rivière : les Incas les taillaient une première fois sur place et devaient ensuite les traîner sur près d’un kilomètre – et au moins une cinquantaine de mètres de dénivelé. Les Incas ne connaissaient pas la roue mais utilisaient probablement des rondins de bois ou des traîneaux pour tirer les monolithes sur des rampes artificielles construites en terre (ce même système était aussi utilisé par les Egyptiens ou les Mayas pour la construction de leurs pyramides).

2) Taille des pierres, ajustement, ponçage
Les pierres sont taillées avec une précision remarquable. Les Incas ne disposaient pourtant que d’outils rudimentaires comme des marteaux sertis de galets de rivière ou des leviers de bronze. Les finitions et le ponçage étaient réalisés avec du sable. Selon Jean Pierre Prozen, il aurait fallu environ fallu une heure pour qu’un ouvrier expérimenté réalise le ponçage d’un bloc moyen.




Certaines pierres, pourtant soigneusement taillées et poncées, présentent des protubérances. Celles-ci ont peut-être eu un rôle décoratif mais certains archéologues imaginent qu’elles pourraient avoir une fonction plus technique. Telle que des « poignées » (ou des attaches pour des cordes) favorisant la manipulation des pierres. Les maçons auraient ainsi pu les déplacer à de multiples reprises pour mieux les poncer et mieux ajuster leur emboîtement avec les blocs voisins.

3) Jointures et sertissages des blocs
Plusieurs pierres comportent des réservations pour des charnières ou des agrafes métalliques sensées maintenir les différents blocs entre eux. Ces systèmes d’assemblage m’ont évoqués ceux retrouvés sur les vestiges de Tiwanaku que les Incas ont d’ailleurs probablement visités (voir article « Tiwanaku sur ce site). Une des théories avance même que le peuple Tiwanaku a fondé Cusco et fut l’ancêtre de la civilisation inca.




4) Inclinaisons des murs
Pour résister aux secousses sismiques, nombreuses dans les Andes, les Incas construisaient la plupart de leurs murs avec un fût d’une trentaine de degrés par rapport à la verticale. La base étant plus stable, le mur résiste ainsi mieux au renversement. De même, les fenêtres, les niches ou les portes ont toutes une forme trapézoïdale (afin de limiter la portée du linteau ?).


5 ) Linteaux
Bien que les Incas soient considérés comme des maîtres dans le domaine de la maçonnerie, ils n’avaient pas découvert le principe de la voûte. Au lieu de construire des arcs, ils utilisaient donc d’épais linteaux de pierre.

Même si les archéologues ont trouvé voûtes en encorbellement sommaires, la plupart des bâtiments était recouverte par une simple charpente de bois. Celle-ci était constituée d’éléments de petites dimensions (le bois est rare à cette altitude ) et joints ensemble au moyen de lanières en cuir de lamas.


Bibliographie :
– Contribution à l’étude de l’architecture inca/ Jean-François Bouchard, 1983,
– « La maçonnerie inca », Jean-Pierre Protzen, [i]in[/i] Pour la science, No 102, avril 1986,
– Inca architecture and construction at Ollantaytambo, Jean-Pierre Protzen, 1993, qui sera certainement plus complet.
http://sweetrandomscience.blogspot.com/2015/05/le-mystere-des-murs-incas.html
http://www.dry-stone.co.uk/Pages/Books/Articles/Polygonal/Polygonal.html
http://davidpratt.info/andes2.htm

by baptiste quételart – architect / architectural reporter